[Partie 1] Pourquoi le contenu des programmes scolaires agit contre les intérêts nationaux gabonais ? L’origine coloniale du système éducatif gabonais

Comment situer le rôle et l’importance du système éducatif dans l’évolution et le développement d’un pays ? Comment rendre l’enseignement utile au développement humain, économique et social du Gabon ? Dans un interview parut le 07 janvier 2024 sur la chaîne nationale Gabon Première, le Ministre de l’enseignement supérieur déclarait ceci : « l’Université gabonaise est un projet politique … un projet pour assurer à notre pays une certaine souveraineté. C’est d’ailleurs le rôle fondamental de toute université ». Cette citation nous plait bien car elle peut s’appliquer au système éducatif dans son ensemble. Elle permet de positionner, sur le plan politique, le rôle de l’enseignement dans l’évolution de la nation. Qu’en est-il des résultats ?

Dans l’histoire du Gabon ‘’indépendant’’, les premières grandes résolutions dans le domaine de l’éducation ont été adoptées lors de la participation du pays à la Conférence d’États africains sur le développement de l’éducation en Afrique de 1961 à Addis-Abeba. Une conférence principalement à destination des Etats africains ayant obtenus leurs indépendances autour des années 1960 et qui a positionné l’enseignement comme étant « une des bases du développement économique et social ».

Aujourd’hui, lorsqu’on parcourt les publications, articles et déclarations concernant le système éducatif gabonais. L’impression laissée est généralement négative. Il existe quelques publications qui mettent en avant les « bons résultats » obtenus par le Gabon, comme avec le rapport du PASEC (un organe de la Conférence des ministres de l’Éducation des États et Gouvernements de la francophonie), mis en avant par la Ministre de l’Education Nationale, qui classe le Gabon à la 1ère position des pays ‘’positionnant en fin de cycle la majorité de leurs élèves au-dessus du seuil « suffisant » de compétence en mathématiques‘’ et 2ème position du classement général parmi les 14 pays membres de la COFEMEN. Pour le reste, les avis sont généralement négatifs. Les problèmes récurrents sont l’inadéquation entre les formations et le marché de l’emploi, les grèves à répétition, le taux de saturation des écoles ou le manque d’équipements dans les établissements à tous les niveau d’enseignement. Si on  superpose ces avis à l’absence de développement économique et social du Gabon depuis son indépendance, il est évident que le système éducatif gabonais actuel est en situation d’échec à sa mission. 

Peut-on honnêtement et objectivement espérer un développement sans un système éducatif capable de produire des individus taillés porter l’ambition du continent et du pays ? Et face à l’absence de réformes des programmes pédagogiques depuis l’indépendance du pays, que peut-on attendre d’une école conçue et développée pendant l’époque coloniale pour servir les intérêts de la France (puissance coloniale de l’époque) ? Quels changements faut-il apporter et quelle orientation donner à l’enseignement pour une école capable de répondre aux préoccupations du Gabon ?  

1. L’importance et la fonction du système éducatif pour un pays

a. L’enseignement comme représentation de l’ambition d’une nation

« Si le siècle prochain doit être celui de l’Afrique, celui du progrès économique et social du peuple Africain, marqué par une paix et un développement ; alors le succès de cette entreprise dépend de la réussite de nos systèmes éducatifs ».
Thabo Mbeki, président sud-africain, en décembre 1999.

A l’instar des secteurs essentiels à la construction d’une nation, le système éducatif reflète les choix politiques qui sont opérés en amont. On choisit le contenu ce qui est enseigné aux apprenants, on hiérarchise l’importance des disciplines, on choisit l’histoire qui doit être transmise et la manière de présenter le récit historique. L’enseignement doit être conçue pour apporter des réponse aux défis politiques, économiques et sociaux sur à court, moyen et long terme selon les objectifs définis dans l’intérêt de la nation. C’est un atout inestimable s’il est bien pensé et il peut être fardeau s’il est mal conçu. A l’échelle d’une nation, ces orientations sont le résultat de décisions (ou de l’absence de décisions) politiques et économiques prises localement ou venant de l’extérieur.

En effet, si on considère que chaque enfant d’aujourd’hui, adulte de demain, est un maillon important de la chaîne qui doit assurer la marche en avant du pays et du continent, les choix effectués dans la construction de ce dernier sont de la plus haute importance. Si l’éducation dispensée produit des maillons défaillants, la tâche ne sera que plus insurmontable.

L’école est également un moyen par lequel une nation transmet ses valeurs, son histoire, et sa culture aux générations futures. Elle forge l’identité nationale en inculquant des idéaux communs et en renforçant le sentiment d’appartenance. Une jeunesse privée des clés de compréhension des problèmes économiques, historiques, politiques et sociaux du pays ne peut tenir son rang et œuvrer efficacement pour l’accomplissement de sa mission. Peut-on transformer la société sans une transformation nette des programmes enseignés aux enfants ?

b. L’importance de l’enseignement de l’histoire dans une nation

« L’histoire n’est pas tout mais elle est le commencement. L’histoire est l’horloge que les peuples utilisent pour dire l’heure politique et culturelle. Elle est également la boussole que les peuples utilisent pour se trouver sur la carte de la géographie humaine. »
John Henrik Clarke

L’histoire n’est pas une discipline neutre. Les faits sont ce qu’il y a de concret et réel mais la sélection des événements et manières de les raconter résultent de choix et d’orientations qui sont faits en amont. Une connaissance de l’histoire, des événements marquants dans l’évolution d’un pays permet une analyse éclairée des dynamiques actuelles et des problèmes du présent. En ce sens l’histoire est l’une des matières fondamentales dans la construction d’un système éducatif. L’enseignement de l’histoire permet de positionner les individus dans l’évolution du récit national. Il aide à la construction d’une mémoire collective, à la construction d’une identité nationale, à la transmission des valeurs nationales, aide au développement d’une pensée critique et prépare une jeunesse à ses défis futurs.    

L’histoire permet de façonner la mémoire collective, l’ensemble des connaissances et des représentations faites du passé partagés par un groupe, une communauté ou une nation. Elle englobe les événements importants, les personnages marquants, les lieux et les récits qui ont marqué l’histoire commune et qui sont transmis de génération en génération. Cette mémoire, souvent construite à travers l’éducation, les commémorations, les monuments, et les récits historiques, joue un rôle clé dans la formation de l’identité collective. Elle peut être influencée par la culture, les valeurs et les perspectives de ceux qui la font vivre. En fonction de ces facteurs, la mémoire collective aide à créer un sentiment d’appartenance, à la transmission de valeurs, à la quête d’objectifs communs en donnant aux individus un lien à travers une histoire et un héritage commun.

2. L’origine coloniale du système éducatif et des programmes scolaires actuels

a. L’origine coloniale de notre système éducatif (Mission civilisatrice, …)

«La population européenne … ne doit-elle pas civiliser ou faire disparaître, même sans conquête, les nations sauvages qui y occupent encore de vastes contrées ? »
Condorcet

Pour mieux comprendre d’où vient l’école que nous connaissons actuellement au Gabon et dans les anciennes colonies françaises et les objectifs de son implantation, il est nécessaire de faire un retour en arrière, plus précisément à l’époque de la colonisation. Si la scolarisation et l’enseignement colonial ont été introduit durant le XIXe siècle dans les colonies françaises avec l’installation des premiers instituteurs, c’est au tout début du XXe siècle que l’administration coloniale française met en place et structure son système éducatif dans les colonies d’Afrique subsaharienne. D’abord en Afrique de l’ouest (ancienne AOF), en partie, avec pour objectif de contrer l’influence de l’enseignement islamique et conforter la domination française dans la région, puis dans les pays en Afrique centrale. Le tout s’inscrivant également dans le cadre de la « Mission Civilisatrice », une idéologie portée par l’état français dans le but d’apporter la civilisation européenne aux peuples africains « indigènes » considérés comme étant « païens », « sauvages » et « barbares » comme le déclarait Jules Ferry dans son discours à la Chambre des députés le 28 juillet 1885 : « Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Il y a pour elles un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ».

C’est dans les années 1840 que la première école coloniale s’installe au Gabon et dans l’espace AEF (Afrique Equatoriale Française). La première école catholique française au Gabon ayant ouvert en Janvier 1845. A sa mise en place, l’enseignement se concentre sur l’agriculture et l’apprentissage des métiers. L’objectif pour l’Etat français était d’assurer une certaine autonomie sur le plan alimentaire et technique aux colons installés dans la région et réduire les besoins d’approvisionnements constants depuis la métropole. A des fins purement utilitaires, le contenu de l’enseignement était volontairement dégradé et limité à quelques notions élémentaires dans des matières tels que le français et les mathématiques.

L’enseignement va ensuite progressivement évoluer, et au début des années 1900, la frustration manifestée au sein des populations africaines va pousser la métropole à adapter son modèle. « L’école rurale » va se développer après la première guerre mondiale. Son but était de toucher le monde paysan et le porter vers la « modernité ». C’est également dans cette période que les premiers étudiants quittent le continent pour étudier en France. Après la seconde guerre mondiale, les révoltes populaires prennent de l’ampleur et les populations réclament un traitement plus égalitaire, notamment dans l’éducation, et poussent à nouveau la France à s’adapter. Un enseignement calqué sur le modèle existant en France métropolitaine va être déployé et c’est le modèle qui sera la référence jusqu’aux indépendances. C’est l’émergence de l’enseignement secondaire. Le contenu de l’enseignement va reprendre ce qui se faisait en occident en trainant un certain retard et certains contenus vont être adaptés aux populations colonisées. L’enseignement de l’histoire sera spécialement réécrit et falsifié pour façonner le regard des africains vis-à-vis de la France. L’histoire de la France et les civilisations européennes doit ainsi occuper une place centrale dans l’enseignement. C’est dans ce sens qu’en 1924, Jules Cadre, administrateur colonial ayant occupé de nombreux postes comme celui de Lieutenant-gouverneur du Moyen-Congo ou encore gouverneur général de l’AOF (Afrique Occidentale Française), déclarait dans une circulaire fixant l’organisation de l’enseignement dans les colonies : « L’histoire, et surtout celle de la France, doit être enseignée aux indigènes des colonies, en particulier aux Noirs d’Afrique […] Peuvent-ils ignorer tout de la France et des Français avec lesquelles ils sont en relation journalière et qui leur ont apporté la sécurité et la prospérité ? Il faut donc faire connaître aux Noirs l’histoire de la France et celle de leurs pays. ».   

L’école primaire élémentaire des Sœurs Bleues de Castres de  Libreville, réservée aux filles, 1930.

b. Les objectifs de l’enseignement colonial (et du contrôle des systèmes éducatifs)  

« Dans une société coloniale, l’éducation est faite pour soutenir le colonialisme. Dans un régime esclavagiste, l’éducation n’et pas autre chose qu’une institution destinée à former des esclaves. »  
extrait du livre Main basse sur les programmes d’enseignement par Stephan KONDA MAMBOU

Une compréhension des finalités du colonialisme est nécessaire pour situer le rôle de l’école dans l’entreprise coloniale. Premièrement, la colonie existe pour enrichir et faire rayonner la puissance dominante. La colonie lui fournit matières premières, denrées alimentaires, ressources humaines, … Tout ce qui est utile au développement du colon. L’école coloniale, dans sa conception, avait pour but d’éduquer les populations africaines selon ce que la puissance coloniale attendait d’eux. Des sujets reconnaissants l’autorité et la supériorité de colonisateur et travaillant à l’enrichissement de ce dernier. Pour soutenir le colonialisme, l’enseignement devait remplir certains objectifs comme la formation de subalternes pour l’administration coloniale et la conquête morale des populations africaines. 

La formation de subalternes : le cas des « semi-lettrés »

Le cas de ceux qui étaient couramment appelés « semi-lettrés » permet d’illustrer ce point. Leur enseignement devait leur permettre d’acquérir une instruction suffisante leur permettant d’affirmer une autorité sur le reste de la population sans jamais atteindre le niveau d’instruction des colons français. Il n’était pas question  de pouvoir concurrencer le maître « blanc » ou d’obtenir un quelconque diplôme. Ils étaient sélectionnés et formés pour être des interprètes, des ouvrier, des gardes ou même des sous-chefs… Ils étaient nécessaires aux colons, leurs permettant notamment de faciliter les communications à destination des populations. Ils étaient les relais privilégiés, chargés de faciliter la tâche des administrateurs coloniaux.

La conquête morale des populations colonisées 

La conquête morale est un processus par lequel une puissance ou un état colonial impose ses valeurs, ses croyances, et son idéologie à une population de culture différente, par l’usage de la force si c’est nécessaire. Dans le contexte de la colonisation, cela implique d’imposer la langue, la religion, les normes culturelles, sociales, et le système économique de la puissance colonisatrice aux populations à conquérir. Les systèmes éducatifs, en plus l’église, étaient parmi les outils privilégiés pour mener la conquête morale des africains. Les colonisateurs établissaient des écoles dans lesquelles l’usage des langues locales étaient interdits et sanctionnés et où les langues, l’histoire et les valeurs des colonisateurs étaient le norme. La finalité était d’inculquer aux enfant l’amour de la France, effacer des mémoires les horreurs commises sur les populations par la France depuis l’esclave, créer un sentiment de supériorité culturelle et morale vis-à-vis des africains et les soumettre intellectuellement. C’est dans ce sens que Louis Solonet et André Pérès, auteurs du manuel d’histoire « Moussa et Gi-Gla » distribué et utilisé en AOF pendant la colonisation, déclaraient : « nous avons poursuivi un triple but : Compléter l’instruction de l’écolier africain au point de vue de la lecture tout en l’intéressant et en l’amusant […] aider à son éducation morale, sociale et pratique […] lui faire connaître et aimer la France, lui montrer notre pays comme le plus glorieux, le plus avancé en civilisation, le premier tout autant par le courage de ses soldats que par les mérites de ceux qui l’ont illustré, particulièrement de ceux qui ont apporté en Afrique occidentale la prospérité et le progrès. « L’Afrique produit des hommes », disait Faidherbe. Faisons de ces hommes des Français heureux et fiers de l’être ».  

A suivre…

Par Leynart MASSIMBA
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