[Partie 5] Pourquoi le contenu des programmes scolaires agit contre les intérêts nationaux gabonais ? Les conséquences d’un enseignement inadapté aux besoins nationaux

6. Les conséquences 

Il est important d’apporter une précision : tout n’est pas négatif dans l’école africaine. Le niveau en sciences des lycéens sortants de certains pays africain (Cameroun, Sénégal, Gabon, …) garde une certaine réputation à l’international. Même si pour le cas du Gabon, certaines voix s’élèvent de plus en plus pour dénoncer une baisse globale du niveau en sciences. De plus le système éducatif seul ne peux expliquer l’état de pauvreté et les difficultés rencontrées dans de nombreux pays d’Afrique.

a. Un système incapable de penser des solutions adaptées aux besoins locaux et déconnectée des enjeux du développement local

« le colonisé ou l’ex colonisé ressemble un peu à cet esclave du XIXe siècle qui, libéré, va jusqu’au pas de la porte puis reviens à la maison car il ne sait pas où aller. Depuis le temps qu’il a perdu la liberté, depuis le temps qu’il a acquis des réflexes de subordination, depuis le temps qu’il a appris à penser à travers son maître »
Cheick Anta Diop, historien et scientifique africain, une boussole pour de nombreux historiens en scientifiques africains

Il existe des nombreux cas dans lesquels l’enseignement parait déconnecté de son rôle dans la résolution de problèmes locaux et la sauvegarde des intérêts nationaux. La conséquence d’une école qui n’a jamais été pensée et construite pour contribuer au développement local. Le système éducatif s’inscrit encore dans la continuité de l’école coloniale et ses évolutions se font la base d’agendas définis par des organismes internationaux. Et dans de nombreux cas, on se contente de copier ce qui se fait en occident.

Le cas du domaine de la construction 

Le cas du domaine de la construction est assez évocateur dans ce sens. Pour la construction de logements ou des infrastructures urbaines, le choix des matériaux de construction doit tenir compte des contraintes telles que climat, le confort des habitants, la durabilité ou les besoins en matière d’entretien. L’usage du ciment tel qu’il est aujourd’hui dans la construction a été introduit pendant la période coloniale. Il était rare et réservé aux logements des colons et des élites locales. Sans être le matériau à disposition le moins couteux ou le mieux adapté aux climats locaux, sa production nécessite de grandes quantités d’énergies et ses propriétés thermiques sont globalement inadaptés aux pays chauds car il stocke facilement la chaleur et la transfère à l’intérieur des logements. Sans qu’il soit vraiment questionné au quotidien, le ciment s’est imposé dans la construction par l’image prestigieuse qu’il a acquis durant la période coloniale. Contrairement à la terre crue ou cuite qui, elle, faisait déjà partie des principaux matériaux utilisés dans la construction de logements par les populations locales. Contrairement au ciment la terre crue ou cuite stocke très peu la chaleur et maintien des températures basses en intérieur. L’abondance de la latérite ou de l’argile nécessaire à sa fabrication permet des coûts plus bas et limite les dépendances aux importations extérieures dans le secteur du BTP. Ainsi dans une tribune publiées le 21 mai 2024, Adrien NKOGHE ESSINGONE, ancien ministre gabonais de l’Habitat, déclarait à propos de l’utilisation de la terre cuite : « Cette alternative représente une solution à plusieurs de nos problèmes actuels. Les blocs de terre crue, en particulier, offrent une excellente isolation thermique, conservant la fraîcheur des habitats sans nécessiter un recours excessif aux systèmes de climatisation. Ce choix matériel est d’autant plus pertinent que notre pays regorge de latérite, une ressource abondante qui pourrait rendre ce type de construction économiquement compétitif. ».

Le rapport avec le système éducatif ? Dans l’enseignement technique et professionnel, incluant le génie civil et le BTP, 100% des programmes et 100% des manuels utilisés et recommandés par le ministère de l’éducation nationale sont des productions françaises. A l’image des contenu de l’enseignement, ces ouvrages sont conçus suivant des réalités et des problématiques différentes des nôtres. Les critères à remplir pour un logement sont différents selon qu’on est basé en Europe ou en Afrique. Le climat, les besoins et les ressources disponibles pour la construction ne sont pas les mêmes en France et au Gabon. Il n’est donc pas pertinent que la formation au Gabon soit une copie de celle qui est dispensée en France. Si les élèves ne sont pas formés sur la base besoins et des problématiques propres au pays, il est évident que leur formation les détournera des solutions les mieux adaptées.     

Construction en brique de terre cuire au Gabon en 2023. Source : Hydraform Gabon

Le cas de la santé et des médecines africaines

Des problèmes du même ordre existent dans le domaine de la santé même si ce cas paraît plus complexe. Il existe un paradoxe persistant en Afrique et au Gabon en particulier dans le domaine de la santé. Alors qu’en 2022, d’après l’OMS, près de 70% des populations africaines avaient recours à la médecine traditionnelle pour des soins de santé, les politiques de santés publiques dans le domaine, de la formation à la pharmacie en passant par les soins, sont tournées vers la médecine occidentale dite moderne.

Les écoles de médecine sont basées sur le modèle et les standards occidentaux. Un modèle qui sait apporter des solutions efficaces mais peine à trouver des solutions concrètes à certaines maladies endémiques présentes sur le continent comme le paludisme ou la malaria dont certaines sont connues et traitées depuis des siècles par les médecines traditionnelles africaines. Ce modèle a pour conséquence de marginaliser les médecines locales en les considérant à tort comme non scientifiques et expérimentales. Cela est d’autant plus paradoxal que ces remèdes traditionnels pourraient offrir des solutions accessibles et durables dans un contexte où les ressources économiques sont limitées et où l’accès aux soins dits modernes reste un défi pour de nombreuses populations.

Intégrer les savoirs traditionnels à l’enseignement de la médecine peut s’avérer être un atout, en particulier pour le traitement de maladies déjà bien connues et traités efficacement et à moindre coût par les techniques locales. Les milliers de plantes qui composent la flore locale et dont les agent actifs servent de base pour la fabrication de médicament aussi bien pour la médecine locale que pour la médecine occidentale sont à notre portée. Servons-nous.

Remèdes « traditionnels » en vente. Source : L’Union-Sonapresse

Plus largement

Plus largement, sur le plan de la souveraineté, le système éducatif peine à être à la hauteur. Le Gabon et son économie dépendant principalement de l’exploitation des ressources minières et des hydrocarbures dépendent de l’extérieur pour cartographier, identifier et valoriser les ressources présentes dans notre sous-sol. Pourquoi ne pas former des experts nationaux et construire des écoles de pointe pour mieux maitriser la chaîne de valeur de ces domaines stratégiques pour le pays. D’autres domaines comme la production alimentaire sont également concernés, le pays importe 80% des besoins alimentaires (le taux monte 96% pour les viandes et produits carnés) mais forme très peu dans ce domaine. 

b. Aliénation, acculturation et appropriation du mode de vie

« Pour qu’une vérité soit valable et objective, il faut qu’elle sonne blanche »
Cheick Anta Diop, historien et scientifique, légende du continent

Le « cercle d’existence » d’un peuple fait référence à l’ensemble des éléments qui constituent la vie quotidienne et la continuité de ce peuple. Cela inclut ses traditions, ses pratiques culturelles, ses structures sociales, ses modes de subsistance, ses croyances religieuses, ses langues, et ses interactions avec l’environnement. Il peut se résumer par la culture et le mode de vie d’un peuple dans son espace (cadre, contexte) culturel. Le phénomène d’aliénation culturelle, quant à lui, se caractérise par le perte ou le rejet des éléments constitutifs de sa culture au profit d’une autre. Ce qui inclut les éléments du cercle d’existence. Dans le cas des anciennes colonies, l’aliénation culturel connue actuellement est un processus initié par une volonté de soumission et de domination des peuples africains par les européens depuis leurs arrivées sur les côtes africaines. 

Par la place qu’il occupe dans le développement intellectuel de notre jeunesse, le système éducatif est un instrument qui aide à façonner nos connaissances et nos rapports vis-à-vis du monde, de l’Etat, de ses institutions et des modes de gouvernance. Il impacte nos modes de vie car il aide à construire notre rapport à notre histoire, à notre environnement.

Parce ce qu’il s’inscrit dans la continuité de l’œuvre coloniale, par la manière dont l’enseignement de l’histoire et le civisme se font autour de la vision occidentale. Les sciences, les disciplines artistiques, la littérature tournent autour de la vision occidentale et minimisent le rôle et l’initiative des peuples africains. Le tout participe à une déconnexion des éléments constitutifs des cultures africaines. Il favorise l’érosion des traditions en marginalisant les savoirs traditionnels. Il contribue à l’abandon des techniques endogènes de subsistance (l’agriculture, l’élevage, la chasse, la pêche) et favorise une dépendance aux ressources extérieures. Il contribue à ériger un mode d’organisation de l’Etat des pouvoirs publics façonné pour des société fondamentalement différente des nôtres (l’organisation de l’état gabonais était directement inspiré du code napoléonien publié en 1804 pour organiser les pouvoirs et le droit durant le régime de la 1ère en république en France).

c. Des africains au service des intérêts occidentaux

« Notre cerveau est comme un petit village d’Afrique victime de l’exode rural ; il y a des cases vides. »
Jonathan MUCHEMBLE

Qui profite le plus de l’école gabonaise ? Le système éducatif produit-il des individus façonnés pour défense l’intérêt et de la vision occidentale ? Quel conséquence au fait de laisser d’autres puissances décider de ce qui est dans nos manuels scolaires ?

Il existe une volonté affirmée de certaines puissances mondiales de disposer de ressources africaines. Les richesses du sous-sol ne sont pas les seules concernées. Les cerveaux suscitent également un intérêt important. 

Dans un article sur la fuite des cerveaux (disponible en cliquant ici), on évoquait la facilité avec laquelle les Etats et entreprises occidentales parviennent à attirer des cerveaux et de la main d’œuvre qualifiée africaines. Dans cet article, il était notamment question des enjeux économiques et politiques. On évoquait le fait que former les cadres et l’élite dirigeante des pays africains est un moyen efficace pour l’occident de diffuser son idéologie, de pérenniser une domination culturelle, intellectuelle et de garantir ses intérêts en Afrique. Former des dirigeants africains acquis à leurs visions et principes moraux permet de s’assurer une influence sur le continent. Sur le plan économique les migrations vers l’occident permettent de contribuer au financement des universités d’accueil et de garantir un afflux de main d’œuvre qualifiée dans un contexte de stagnation ou de baisse démographique au sein des pays dits développés. Les systèmes éducatifs actuels en Afrique francophone sont des accélérateurs de ce phénomène. Car il produit des individus suivant un modèle déconnecté de nos réalités mais directement pensé selon des agendas occidentaux.

Pour de nombreux diplômés africains, il y a une facilité à se projeter ailleurs que chez soi. Poussés par l’idée selon laquelle, une fois diplômé, c’est en occident qu’on peut pleinement mettre en pratique ses compétences et exprimer son potentiel. Les économies plus industrialisées, les niveaux de rémunération et les sociétés perçues comme mieux organisées, correspondent mieux aux aspirations et aux contenus des formations reçues pendant les études supérieures. Cette manière de penser nous parait logique si on part du principe que si les apprenants sont instruits à la manière occidentale, suivant une idéologie et des techniques venant d’occident, il est, de ce point de vue, logique que l’occident soit l’endroit approprié pour mettre en pratique les compétences acquises. Et même en restant au pays, on fantasme un développement calqué sur l’image qu’on a de l’occident et les multinationales internationales implantés localement restent les entreprises privilégiées pour y exercer et renvoyer une sentiment de réussite.

L’enseignement se doit d’être adapté aux réalités de son environnement. L’économie en Afrique n’est pas régie par des codes différents de ceux de l’occident, le BTP ne répond pas aux mêmes besoins, le droit répond à des codes moraux différents, les besoins en matière de consommation sont différents. De plus, se contenter calquer maladroitement son enseignement sur celui d’un état plus avancé techniquement, est le meilleur moyen de faire naître une dépendance économique et technique vis-à-vis de cet Etat. Couplé à l’absence de financements conséquents dans la recherche locale, nous condamnons l’Afrique à être un débouché économique pour l’ensemble des industries mondiales avec plus d’un milliard de consommateurs à servir.  

A suivre…

Par Leynart MASSIMBA
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