La fuite des cerveaux peut se définir comme la migration de personnes qualifiées, éduquées ou à forts potentiels vers des pays proposant de meilleures opportunités professionnelles et un meilleur cadre de vie. C’est un phénomène que l’Afrique connait très bien et notre cher Gabon ne fait pas exception. Pour le continent africain, le phénomène touche de plus en plus de bacheliers et étudiants car pour beaucoup, c’est la possibilité de bénéficier d’une formation de qualité dans un cadre qui donne plus envie. Comment résister à l’opportunité d’étudier aux Etats-Unis, en France ou au Canada quand, en face, les alternatives sont souvent des universités publiques à la limite de l’abandon (UOB, USS, l’USTM, …) et leurs nombreux manquements. Les statistiques les plus récentes montrent une accélération de ce phénomène. De plus en plus d’étudiants gabonais sont inscrits dans des universités et écoles hors du pays à l’image de la tendance mondiale.
Si on remonte à il y a 10 ou 15 ans, ce sont quelques pays comme la France, le Royaume-Unis, les Etats-Unis ou le Canada qui étaient connus pour attirer et former de nombreux étudiants africains. Aujourd’hui, la tendance est différente. Les destinations se multiplient. Chine, Arabie Saoudite, Turquie, Russie, Maroc ou Corée du Sud. De plus en plus de pays se lance dans la course pour attirer les meilleurs étudiants africains à travers des bourses d’études ou des programmes d’échanges.
Si la plupart du temps, ce sujet n’est abordé que du point de vue purement éducatif, les enjeux et conséquences réels sont plus nombreux. Quelles en sont les causes ? Quelles sont les conséquences pour le Gabon (et l’Afrique) ? Qu’en est-il du retour au pays ? Nous nous chargeons de creuser le sujet pour vous.
Les origines de cette migration datent d’avant les indépendances. A cette époque, les différents Etats africains faisaient former leurs étudiants destinés à occuper les postes à responsabilités sur le sol des puissances coloniales, officiellement en raison de l’absence d’universités et d’écoles supérieures sur les territoires colonisés. La véritable raison est que c’était le moyen pour la puissance coloniale (la France dans le cas du Gabon) de façonner des élites africaines qui allaient raisonner selon leurs schémas de pensée, promouvoir leurs modèles et ainsi faire émerger des dirigeants africains disposés à défendre leurs intérêts. Si à l’époque le problème de la fuite des cerveaux ne se posait pas, car les étudiants diplômés effectuant en grande majorité leur retour au pays, la situation est bien différente aujourd’hui. Plus de 60 ans après les indépendances, les étudiants gabonais et africains sont de plus en plus nombreux à préférer se tourner vers les pays occidentaux pour leurs études universitaires mais aussi pour y trouver de meilleures opportunités professionnelles. Les causes sont nombreuses :
Pour de nombreux pays occidentaux dont le financement des universités dépend des frais de scolarité, l’accueil d’étudiants étrangers et la manne financière qu’ils apportent devient un enjeu crucial pour soutenir la recherche et pour assurer la pérennité du système éducatif. En 2020, pendant la montée de la pandémie du covid 19, Universities Australia (groupe de lobbying des universités australiennes) annonçait craindre une perte pouvant s’élever à 10 milliards d’euros pour les universités du pays. Une perte liée à l’absence d’étudiants étrangers en cas de fermeture des frontières. Cette crainte s’explique du fait que les frais de scolarité réglés par les étudiants internationaux en Australie (en moyenne de 32 000 dollars par an et par étudiant) représentent la somme de 19,5 milliards par an.
Attirer des étudiants étrangers reste un moyen efficace pour faire face à des pénuries de main d’œuvre dans des secteurs importants comme les sciences, la santé ou le génie civil. Ces migrations permettent également de répondre au manque d’intérêt des étudiants locaux pour ces filières et aux problèmes démographiques que rencontrent les pays occidentaux (vieillissement de la population). Dans une étude publiée en 2021 par le NFAP (National Foundation for American Policy), on apprend qu’aux Etats-Unis, 74% des étudiants inscrits en génie électrique étaient des étrangers, c’était également le cas pour 61% des étudiants inscrits en Génie Civil, 58% des inscrits en Génie Mécanique, 72% des inscrits en Génie informatique et sciences de l’information, 50% des inscrits en sciences pharmaceutiques ou 82% des inscrits en Génie du pétrole. La France avec plus de 40% des doctorants qui sont de nationalités étrangères n’est pas épargnée par ce phénomène. Et ce sont les secteurs des TIC (Technologies de l’information et de la communication), de la santé ou du Génie Civil qui sont le plus touchées.
Durant la période coloniale, les Etats colons se sont assurés d’être les seuls à avoir la main mise sur les systèmes éducatifs des pays colonisés. Les écoles et universités gérés par les colons étaient les seuls à pourvoir assurer la formation scolaire et universitaire des populations africaines. L’objectif était de contrôler ce qu’apprenaient les enfants africains et ainsi promouvoir l’idéologie, le mode de pensée et les intérêts de l’Etat colon. Former l’élite dirigeante d’un pays tiers est depuis longtemps un moyen efficace de diffuser son idéologie et de pérenniser une domination culturelle et intellectuelle à l’échelle mondiale. Plus de soixante ans après les indépendances des pays africains, cette volonté existe toujours, notamment à travers des programmes de bourses d’excellence dont les objectifs sont souvent clairement énoncés. A l’image du programme France Excellence Eiffel donc l’objectif annoncé est : « d’attirer les meilleurs étudiants étrangers dans des formations diplômantes au niveau master et en doctorat. Il permet de former les futurs décideurs étrangers, des secteurs privé et public, dans des domaines d’études prioritaires ». Objectif similaire pour le programme de bourses du Commonwealth à destination du Royaume-Unis qui annonce « En attirant des personnes au talent exceptionnel et au potentiel identifiable de tous horizons et en les aidant à devenir des leaders et des innovateurs à leur retour dans leur pays d’origine, le travail du CSC (la Commission des Bourses du Commonwealth) associe le développement durable à l’intérêt national du Royaume-Uni et offre des possibilités de partenariats et de collaborations internationales. »
La majorité des dirigeants politiques africains actuels (présidents, ministres, …) est ainsi formée en occident (en France pour les dirigeants d’Afrique francophone et au Royaume-Unis ou aux Etats-Unis pour les dirigeants d’Afrique anglophone). Constituant ainsi un levier important pour ces derniers qui peuvent ainsi de garantir leurs intérêts et faciliter les échanges économiques et politiques avec les pays africains.
L’une des premières conséquences de ce phénomène est la perte de main d’œuvre qualifiée dans des domaines clés tels que la Santé, les nouvelles technologies, l’enseignement et la recherche académique. Entre 2016 et 2018, le Nigéria a perdu plus de 9000 médecins qui ont fait le choix de migrer vers des pays occidentaux (Royaume-Unis, Canada, …) à la recherche d’une meilleure rémunération et d’un meilleur cadre de vie. Voyant ainsi le nombre de médecins passer de 83 565 en 2016 à 74 543 en 2018 (soit une perte de plus de 10,7%) d’après les statistiques de l’OMS. Le Nigéria est loin d’être un cas isolé. En 2023, face à l’accélération de l’exode des médecins sénégalais, le docteur Boly Diop, président de l’Ordre des médecins du Sénégal déclarait : « L’exode des médecins africains est une réalité : beaucoup de professionnels sénégalais exercent en France, et nombreux sont des spécialistes. Il y a une vraie saignée ». Au Maroc, une étude du Haut-Commissariat au Plan indique que plus d’un tier des médecins marocains qui exercent à l’étranger et plus de 70% des étudiants en médecine se disent favorable à l’idée de quitter le pays.
Ces migrations concernent aussi les enseignants-chercheurs africains qui déplorent généralement, en plus du niveau de rémunération bas, l’organisation des systèmes éducatifs, l’absence de plateaux techniques et le manque de ressources qu’ils considèrent comme un frein à l’exercice de leur métier. Selon une étude de l’UNESCO parue en 2019, la proportion des enseignants et chercheurs africains qui exercent hors du continent est estimée à plus de 20%. Cette perte de main d’œuvre qualifiée touche également d’autres domaines comme l’informatique, le génie civil, sciences et technologies, …
Une autre conséquence avancée par certains dirigeants africains est la perte économique pour les pays d’origine qui, dans l’immense majorité des cas, financent l’éducation et les études de leurs ressortissants même quand ils étudient dans des pays occidentaux. Il en résulte une situation dans laquelle les états africains paient pour éduquer et former des individus qui ne contribueront pas à leurs économies mais à celle des pays dans lesquels ils ont étudié.
La tendance, aujourd’hui, n’est pas à un retour au pays pour les ressortissants africains. Les politiques publiques ou privées visant à attirer les compétences africaines vers l’Europe occidentale ou l’Amérique du Nord se multiplient principalement pour répondre au problème du vieillissement de leurs populations et à leur incapacité à former localement dans les domaines en tension (santé, informatique, recherche académique, BTP, …). Les prévisions du FMI annonce une accélération de ces migrations faisant passer le nombre de travailleurs qualifiés ressortissants d’Afrique subsaharienne à 34 millions en 2050 (contre 7 millions en 2013). Cette augmentation est de plus en plus portée par des individus titulaires d’un bac+5 ou plus. Faisant, aujourd’hui que le niveau académique moyen des immigrés est supérieur au niveau moyen des populations des pays d’accueil. Rajoutant ainsi au drame le fait que cette fuite est avant tout une perte de compétences prête à l’emploi.
La proportion exacte ou le pourcentage d’étudiants africains qui retournent dans leur pays d’origine après avoir terminé leurs études à l’étranger varie considérablement selon les pays d’études, les disciplines d’études et les pays d’origines. Une étude Campus France publiée en 2021 estime en effet que seuls 20% des étudiants africains qui obtiennent leurs diplômes dans les pays européens retournent chez eux à l’issue de leurs études. Mettant en avant le manque d’attractivité des pays africains.
En juillet 2022, Amissa Briana BONGO ONDIMBA, présidente du conseil d’administration de l’Agence Nationale des Bourses du Gabon (ANBG) invitait les diplômés gabonais ayant bénéficié d’une bourse de l’ANBG à honorer leur engagement quinquennal (ou décennal) vis-à-vis de l’Etat en déclarant : « Il faut que ceux qui ont bénéficié de la bourse de l’Etat puisent revenir servir le pays dans les secteurs pour lesquels l’Agence (ANBG) a payé la bourse ». Cette déclaration faisait suite à la décision de l’ANBG de réduire ses dépenses liées aux bourses des étudiants formés à l’étranger. Ces dépenses, évaluées à 60 milliards de francs CFA (91,6 millions d’€) par année, était ainsi présentées comme un préjudice pour l’Etat qui finance une « fuite des cerveaux » face à l’absence de retour au pays pour des élèves formés aux frais de l’Etat.
Au cours de ces dernières années, le gouvernement a régulièrement annoncé sa volonté de lutter contre la fuite des cerveaux sans jamais qu’aucune politique concrète ne voit le jour pour renforcer la qualité de l’enseignement supérieur local et améliorer l’attractivité du pays vis-à-vis de ses diplômés de l’étranger.
Principaux pays d’accueil des étudiants gabonais de l’étranger.
Sources : Estimation de l’ambassade du Gabon à Dakar pour le Sénégal, Campus France pour la France, Ministère de l’enseignement supérieur marocain pour le Maroc.
Le phénomène de migration des étudiants gabonais vers des pays étrangers connait une accélération depuis quelques années et la tendance se maintient. Les étudiants actuels et les nouveaux bacheliers sont de plus en plus nombreux chaque année à tenter leur chance pour obtenir une admission, une bourse d’études ou un visa vers d’autres cieux, car il faut dire que le contexte local traine son lot de problèmes :
On estime à plus de 16.000 le nombre d’étudiants gabonais scolarisés hors des frontières du pays et la tendance est partie pour évoluer.
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